La psychologie positive, c’est de la m… !
Récemment, j’ai commencé à trouver sur internet de plus en plus de vidéos critiques sur la psychologie positive. On met dans le même sac tous les coach et autres gourous qui vous expliquent comment être plus heureux, et on les accuse de « mettre la pression » sur les gens, et d’imposer la dictature du bonheur à tout prix. Une mise au point s’impose.
La dictature du bonheur.
Prenons un exemple…
Imaginons, vous avez un emploi dans un fast-food. Vous avez des clients capricieux à servir dans une tenue ridicule, à des heures indues, et tout ça avec un supérieur exigeant qui évalue vos faits et gestes… et qui, après vous avoir reproché je ne sais quelle broutille, vous renvoie au feu « et avec le sourire, s’il vous plait » !
Pendant votre pause, vous prenez 5 minutes pour jeter un œil à votre téléphone. Et vous tombez sur les post Facebook de vos amis qui ont tous l’air de s’éclater comme des malades sur les selfies qu’ils mettent en ligne, alors que vous passez votre temps à galérer.
Plus tard, quand vous rentrez, fatigué, vous allez voir sur Internet, et vous tombez sur toutes ces vidéos où on vous explique que vous êtes aux commande de votre vie, que vous êtes responsable de votre bonheur, et qu’il suffit de faire ce qu’il faut pour y arriver.
Il suffit de faire ce qu’il faut…
Alors, en bon gamin ou gamine que vous êtes, vous allez suivre leurs conseils. Tout d’abord, vous allez vous entraîner à avoir des pensées positives, de manière à « monter votre niveau vibratoire ». Ensuite, vous allez faire du sport et manger bio. Vous allez peut-être aussi demander de l’aide à vos anges gardiens, ouvrir vos chakras, et espérer que la « loi d’attraction » vous apporte enfin l’amour ou la réussite. Surtout, vous allez faire des efforts, travailler dur, peut-être même reprendre une formation en plus de votre travail, en espérant avoir un jour le métier de vos rêves qui vous permettra de vous épanouir. Parce qu’après tout, votre bonheur ne dépend que de vous, n’est-ce pas ?
Vous aussi, vous allez faire des selfies à mettre sur Facebook pour montrer que vous vous éclatez, et que votre vie est « trop cool ». Vous allez vous efforcer à parler positivement de votre job, de votre couple, et même de vos problèmes. D’ailleurs, vous ne les appellerez plus « problèmes » mais « challenges » ou « défis ». Bref, vous allez participer à la comédie du bonheur en espérant qu’à force de le dire, ça finira par être vrai.
Vous allez faire cela quelques mois, ou quelques années, et pourtant, votre vie de couple reste un chaos sans nom, vous continuez à souffrir au travail et à avoir des fins de mois difficiles. Et un jour, vous allez faire une dépression ou un burn out, et jeter aux orties tout ce qui relève de la psychologie positive, de la pensée positive, des coachs et autres marchands de bonheur que vous aurez, au préalable, ficelés dans le même sac. Pourtant, ça avait l’air si bien. Pourquoi est-ce que pour vous, ça ne marche pas ?
On vous vend du rêve.
Avant de vous vendre du rêve, on vous vend déjà un mensonge : on vous fait croire que, si vous travaillez bien à l’école, vous aurez un bon métier, que si vous êtes beau, gentil et respectueux, vous aurez un mariage heureux et durable, que si vous travaillez dur, vous aurez une carrière, que si vous êtes combatif, vous allez réussir… Bref, on vous conditionne à croire que vous pouvez atteindre des situations heureuses définitives, et que ça dépend de vous.
Ensuite, on vous vend du rêve : si vous prenez cet abonnement à telle salle de sport, vous allez devenir séduisant et vous trouverez l’âme sœur ; si vous achetez cette voiture, vous aurez un meilleur statut social et vos enfants vous admireront ; si vous achetez une belle maison que vous payerez pendant 30 ans, vous aurez une famille heureuse et unie, etc. Vous allez donc travailler comme un fou pour pouvoir payer toutes ces choses qui, c’est promis, vous apporteront le bonheur.
Vous avez un travail difficile ? Ou pas d’emploi, une mauvaise santé, une vie de couple qui bat de l’aile, ou des enfants qui vous font vivre l’enfer ? C’est pas grave, on a encore du rêve à vous vendre : des films, des séries, des jeux vidéos, des émissions de télé, des jeux à gratter. Tout ce qui peut vous permettre de vous échapper du réel. Ainsi, vous irez dans l’imaginaire prendre un shoot d’hormones du plaisir, et ça vous donnera la force de continuer à endurer, jusqu’à votre prochain shoot.
Pourquoi ?
Tout d’abord, vendre du rêve est à la base du marketing. Comment continuer à faire de la croissance dans un monde fini ? En vendant du rêve, car le rêve est infini.
Ensuite, vous faire croire que votre bonheur dépend de vous, et donc que vous êtes responsable de votre malheur et de vos échecs, ça cultive le chacun pour soi. Si bien qu’aider quelqu’un d’autre, ça ne sert à rien : on ne peut rien pour lui puisqu’il est responsable de son propre malheur et qu’il n’y a que lui qui puisse l’en sortir. Dans ces conditions, pas de solidarité, pas de conscience de groupe, et donc pas de conscience politique (au sens noble du terme).
De plus, l’individualisme isole. Quand on est isolé, on est plus fragile. On est davantage soumis aux aléas de la vie, et donc à la peur : peur de perdre son travail, peur de ne pas être aimé, d’être pauvre, d’être malade, etc. Ca tombe bien, on va pouvoir vous vendre des trucs pour vous rassurer : des compléments alimentaires, des sites de rencontre, des assurances… et en plus, on pourra vous faire travailler plus, ou dans de moins bonnes conditions. Comme vous avez peur, vous allez accepter.
Enfin, vous faire croire que votre bonheur et votre malheur dépendent de vous, ça évite aussi que vous puissiez mettre en question la société dans laquelle vous vivez. Car c’est de votre faute, c’est vous qui n’avez pas fait ce qu’il fallait. La société, elle, vous offre des opportunités, et vous n’avez pas su les saisir… Vous allez donc vous en prendre à vous-même sans remettre en question le système social dans lequel vous vivez.
Alors on laisse tomber ?
Oui…
On laisse tomber l’idée marketing que la vie, ça doit être une accumulation de réussites, de bonheurs et de joies. Seuls 5% des français se disent heureux et épanouis dans leur travail. Seuls 15 à 20% des couples sont heureux à long terme. 815 millions de personnes ne mangent pas à leur faim dans le monde. Un français sur deux estime ne pas pouvoir se payer une alimentation variée et un français sur trois a du mal à se payer des soins médicaux mal remboursés.
La situation la plus courante, c’est quand ça ne va pas comme on voudrait. C’est ça, la situation normale, au sens de « dans la norme ». La réussite, le bonheur, la joie, c’est une situation plutôt exceptionnelle, d’un point de vue statistique.
Et on laisse tomber l’idée que la vie doit être juste. En effet, la justice est un idéal humain. On tord cette notion dans tous les sens pour tenter de voir une justice où il n’y en a pas : on imagine un paradis pour les bons, ou une sorte de justice naturelle par laquelle les personnes malfaisantes seront rattrapées un jour par des malheurs correspondants à ceux qu’elles ont engendré. Mais la vie est au-delà des préoccupations humaines. En elle-même, elle n’est ni juste, ni injuste. C’est pourquoi accepter la vie comme elle est vous économisera pas mal de colère et de désillusions.
Et non !
Si la vie est quelque chose d’instable, où rien n’est jamais définitivement acquis, et où il est normal de ne pas obtenir ce qu’on veut, faut-il arrêter de vouloir être heureux ?
Bien au contraire ! Nous avons besoin de moments de bonheur, de succès et de joie pour maintenir l’équilibre de notre corps et de notre esprit. La psychologie positive a montré que les hormones du bien-être viennent réparer le corps après l’action des hormones du stress, et qu’elles nous donnent de la force et de la motivation.
Nous avons besoin de continuer à avoir des envies, des rêves et des projets, parce que ça nous met en mouvement, que ça nous fait ressentir des émotions, et que ça nous permet de vivre des expériences qui nous enrichissent.
Nous avons besoin de relations avec nos semblables, d’amitié, d’amour, de coopération pour partager nos émotions, nos intérêts et nos curiosités, pour nous stimuler et nous rassurer, pour nous entraider, pour rire ensemble aussi.
Les exercices et les conseils proposés dans le cadre du développement personnel et de la psychologie positive sont à considérer comme des ressources qui vont vous aider à surmonter plus facilement les difficultés de la vie, à connaître plus de moments de bonheur, et à les apprécier davantage.
Certains vous aideront aussi à prendre du recul, pour ne pas vous faire happer entièrement par des désirs ou des problèmes, et rester bien conscient du fait qu’ils sont passagers et qu’ils ne vous définissent pas.
Les psys, coachs, gourous, tous dans le même sac ?
Il existe à l’heure actuelle une jungle de propositions pour vous vendre du bonheur. Le tri n’est pas facile à faire, surtout si vous êtes dans une période difficile. Comment savoir ce qu’il vous faut ? Voici quelques repères.
- Le psychiatre a une formation médicale. Il traite les maladies mentales.
- Le psychologue répond à la question « pourquoi est-ce que je ne vais pas bien ? ». Il aide à guérir les blessures du passé.
- Le coach traite d’aujourd’hui et de demain. Il répond à la question « comment faire pour aller mieux ? »
- Le gourou est au départ un maître spirituel. Il est également connoté négativement : on appelle ainsi les maîtres à penser, manipulateurs, qui se présentent comme détenteurs d’une vérité absolue.
Parmi les coachs, vous trouverez une variété de propositions, certaines fondées sur des pseudo-sciences, voire même sur des pratiques magiques, d’autres qui utilisent le discours de l’entreprise, en vous encourageant à être compétitifs et à devenir la meilleure version de vous-même, et d’autres enfin qui s’appuient sur les connaissances scientifiques de psychologie positive concernant le bonheur humain.
Pensée positive versus psychologie positive.
Le mot « positif » est à la mode, mais il recouvre des réalités bien différentes.
Positiver
Positiver, c’est un terme inventé par le marketing de Carrefour, avec son slogan, « avec Carrefour, je positive ! ». Il s’est étendu dans l’usage courant, et signifie voir la vie en rose. Peut-on réellement voir un bon côté à tout ? Est-ce même sain de vouloir le faire ? Se voiler la face devant des choses dures ne les fait pas disparaître, et les « positiver » ne les rend pas meilleures.
La pensée positive
La pensée positive est une forme d’auto-suggestion héritière de la méthode Coué. Ses défenseurs postulent qu’on peut se forcer à avoir des pensées positives au sujet de soi-même et de sa vie, et ainsi obtenir le bonheur en toute circonstance, voire même influencer son destin à travers la loi d’attraction. Selon cette dernière, en se mettant dans les bonnes dispositions mentales à travers des pensées positives et des visualisations créatrices, on pourrait attirer dans sa vie des expériences positives.
La pensée positive peut profiter à des personnes qui vont déjà relativement bien et qui ont une bonne estime d’elles-mêmes. Mais elle s’avère néfaste et produit l’effet inverse chez des personnes qui ont une mauvais estime d’elles-mêmes, c’est-à-dire les personnes qui en auraient plus besoin.
La psychologie positive
La psychologie positive est une science qui étudie les personnes heureuses pour déterminer par quel moyen elles y parviennent, avec pour objectif de permettre à d’autres de développer ces ressources.
La psychologie positive n’incite pas à être positif en toute circonstance, mais à cultiver les qualités et circonstances de vie qui nous rendent plus résilients face aux difficultés. Par exemple, il est prouvé que l’optimisme permet généralement d’être plus heureux et de mieux faire face aux épreuves. Mais dans certaines circonstances, une attitude pessimiste est plus efficace car elle permet une évaluation plus réaliste de la situation. Ainsi, la psychologie positive ne prône pas l’optimisme de manière indiscriminée, mais observe dans quelles circonstances il produit des bienfaits.
En conclusion,
Il y a en effet un pression sociale à afficher des signes extérieurs de bonheur en tant que preuve de réussite. Certains coachs y participent, mais ils n’en sont pas à l’origine. Vous pouvez choisir de vous y opposer en refusant de chercher le bonheur, voire en cultivant vos émotions désagréables et un mode de vie néfaste. Ou vous pouvez choisir de ne pas céder au diktat des apparences en cultivant un bonheur authentique en accord avec l’inconstance de la vie.
Puisque l’opportunité existe, pourquoi ne pas profiter des connaissances scientifiques apportées par la psychologie positive pour vous fabriquer des conditions de vie qui répondent mieux à vos besoins ? Et pourquoi ne pas cultiver les qualités et les attitudes qui vous rendront plus solide ? Pourquoi ne pas apprendre à savourer les moments de bonheur que la vie nous prête ?
En outre, ces connaissances vous permettront de participer au bien-être de votre entourage, voire de promouvoir des comportements bénéfiques dans l’environnement social.
Dans un monde qui nous paraît incertain, individualiste, injuste, et qui génère de nombreuses souffrances, n’est-il pas judicieux de cultiver les qualités qui font de nous « de meilleurs êtres humains tout en éprouvant une plus grande joie de vivre », comme nous y invite Matthieu Ricard ?
Ce blog a pour but de vulgariser les connaissances scientifiques de la psychologie positive, et de les rendre utilisables pour que vous puissiez les mettre en pratique dans votre vie. Pour être informé des mes prochaines publications, inscrivez-vous à ma newsletter :
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Image par Paski Garcia – Pixabay