Le retour à l’anormal

Le retour à l’anormal

21/05/2020 0 Par Stéphanie

Le retour à l’anormal : ça y est, nous avons derrière nous une semaine et demie de « déconfinement ». Nous l’attendions. Plusieurs de mes clients m’ont dit comme ils étaient heureux de ce retour à la normale… ou presque!

Presque. Pendant le confinement, j’ai vite saturé de tous ces théoriciens du « jour d’après » qui nous expliquaient ce que le monde allait être, ce qu’il devait être et ce qui allait changer dans nos vies.

Car rien n’a changé. Et pourtant tout a changé.

Rien n’a changé.

C’est un peu comme ces bonnes résolutions que l’on prend : à partir de demain matin, je change. Je ne fume plus, je mange sain, je fais du sport, ou je deviens un gagnant. Mais le lendemain, on est toujours la même personne dans la même peau. Rien ne change, sauf qu’en plus, on a un effort à faire pour tenir notre résolution, et c’est dur.

Après le confinement, on retrouve la circulation sur les routes, le bruit, la pollution. Pour beaucoup, on retrouve aussi les horaires de travail et de transport. La routine. Le stress. Le monde se remet à ronronner comme avant, pour le meilleur et pour le pire.

Tout a changé.

Et pourtant, on ne regarde plus le monde comme avant. On a un peu peur de se rapprocher des gens. Peut-être qu’on se sent un peu bridé par la limite de 100km. On aimerait bien aller au cinéma ou au resto. Et surtout, on sait maintenant que notre vie peut être bouleversée instantanément par quelque chose que nous ne pouvions pas prévoir. Ce bon vieux sentiment de sécurité que notre routine nous apportait est désormais ébranlé. La plupart d’entre nous avons envie d’oublier ce fait au plus vite. On se précipite vers ce retour « à la normale » comme un naufragé vers une bouée de sauvetage. Mais est-il bien sage de fermer les yeux ainsi sur cette magistrale leçon que vient de nous donner la vie ?

Le retour à l’anormal : regardons les choses en face.

De quelle leçon s’agit-il ?

A quelques exceptions près, chacune de nos journées se déroule comme prévu. Nous avons des habitudes, des routines, des fréquentations régulières, des relations stables. Ainsi, on s’endort le soir en étant convaincu que demain sera une journée normale, que tout est sous contrôle et que nous sommes en sécurité.

Mais nous venons de constater qu’en quelques jours, on peut passer du normal à l’anormal. Il peut y avoir une épidémie ou une catastrophe. On peut perdre sa liberté. Ou voir mourir des proches. On peut tomber malade, ou même mourir. Rien de ce qu’on tient pour acquis n’est vraiment permanent. Rien n’est réellement sous contrôle. C’est une idée effrayante et vertigineuse. Nous n’avons pas envie de la regarder en face. Et pourtant, être capable d’affronter cette vérité est essentiel.

Pourquoi est-ce important ?

On s’imagine que la vie devrait se dérouler d’une certaine manière. Je devrait bien gagner ma vie, réussir mon mariage, bien élever mes enfants ou avoir de bons amis parce que je fais tout ce qu’il faut pour ça. Et on imagine que la vie doit se dérouler dans un certain ordre : on doit mourir quand on est vieux, ou les enfants ne doivent pas mourir avant leurs parents, par exemple. On imagine aussi que la vie devrait être juste.

Parfois, on voit des choses arriver à d’autres, mais on est convaincu que cela ne nous arrivera pas. Il a perdu son travail ? Sans doute parce qu’il n’a pas fait ce qu’il fallait. Tel pays bascule dans la guerre ou la dictature ? Cela n’arriverait jamais chez nous. Une épidémie meurtrière ? C’est en Afrique ou en Asie, loin de chez nous. Car cela n’arrive qu’aux autres, n’est-ce pas ?

Ce qui vient de nous arriver démontre le contraire. Et pour une fois, ce n’est pas arrivé qu’au voisin ou à un étranger, mais à chacun d’entre nous. Nous avons donc l’occasion de comprendre, et surtout de ressentir, que notre impression de contrôle et de sécurité est une illusion. Tout peut basculer dans la vie à chaque instant.

Qu’est-ce que cette prise de conscience apporte ?

Accepter que rien n’est acquis.

Elle apporte deux choses. La première : accepter que les choses ne sont pas stables, cela évite de s’épuiser à lutter contre l’inévitable. Et cela évite aussi de se rajouter une couche de souffrance là où il y a déjà de la douleur.

Prenons un exemple. Si mon conjoint me quitte, je ressens de la douleur. Mais si je m’arc-boute sur l’idée que c’est injuste, que ça ne devrait pas m’arriver, et que j’imagine qu’il me condamne ainsi à toute une vie de solitude, j’ajoute à ma douleur une belle couche de souffrance. Si je suis habituée à l’idée que tout peux changer du jour au lendemain, et qu’il me quitte, je ressens de la douleur. Et comme je suis au courant que rien n’est jamais définitivement acquis, j’évite d’ajouter de la souffrance à ma douleur. De plus, je sais aussi que cette douleur finira pas passer, ce qui est rassurant. C’est rassurant dans ce cas de savoir que tout change.

Apprécier l’instant.

La seconde chose que cette prise de conscience apporte est la suivante. Si tout peut basculer dans la vie à chaque instant, j’apprécie d’autant plus toutes les bonnes choses quand elles se présentent. J’arrête de me dire que je passerai du temps avec mes enfants plus tard, ou que j’apprécierai le rayon de soleil une autre fois parce qu’aujourd’hui, je suis pressée, préoccupée ou de mauvaise humeur. Si je pense que je peux perdre mes proches, j’apprécierai leur présence chaque jour. Si je pense que je peux perdre ma liberté, la simple balade du chien sous la pluie devient un instant précieux. Tout à coup, il devient plus facile de faire le tri entre ce qui est futile et ce qui est vraiment important.

Lâcher prise.

Si on va plus loin, qu’il devient acceptable pour nous que les choses changent et qu’on admet que c’est inévitable, alors on s’ouvre davantage à ce qui se présente à nous. On cesse de passer notre vie à avoir peur que les choses changent. Au lieu de ça, on lâche prise et on apprend à tirer bénéfice du bon qui se présente à nous, mais aussi du mauvais. Car si on sait que le mauvais non plus ne durera pas, il devient possible de le voir comme une opportunité de se mesurer à lui, d’en apprendre plus sur nous-mêmes et sur la vie, d’exercer notre patience, notre sagesse ou notre résilience. Nous ne nous épuisons plus à lutter contre la réalité. Au contraire, nous essayons d’en tirer parti à chaque instant. Bref, nous cessons de nager à contre courant.

Le retour à l’anormal : exercice, en 2 temps.

1er temps : « Vis comme si tu devais mourir demain. » Gandhi.

Exemples.

Et si c’était la dernière fois que vous caressiez votre chat ? Est-ce que vous ne seriez pas plus attentif à la sensation de votre main sur son pelage, aux vibrations de son ronronnement, au plaisir que cela vous donne à tous les deux ? Est-ce que vous ne lui accorderiez pas un petit peu plus de temps ?

Et si c’était la dernière fois que vous alliez voir votre ami ? Est-ce que vous ne seriez pas plus attentif à ce qu’il vous dit ? N’auriez vous pas envie de lui dire des choses plus profondes ? Est-ce que vous ne seriez pas plus sensible à la qualité de l’instant que vous partagez ?

Et si c’était votre dernière tasse de thé ? Votre dernier carré de chocolat ? Votre dernier tour à vélo ? Ou votre dernier coup d’œil au paysage que vous avez l’habitude de voir par votre fenêtre ?

S’entraîner.

Il ne s’agit pas de cultiver des pensées morbides au risque de tomber en dépression. Au contraire ! Ni de faire n’importe quoi en ignorant les conséquences de nos actes. Il s’agit simplement de cultiver la conscience que les choses qui nous semblent acquises ne le sont pas. Il peut y avoir une épidémie, un changement de régime politique, un accident, une faillite, etc. Imaginer que l’instant que vous vivez ne se reproduira peut-être pas lui donne une qualité et une intensité bien plus importante. Cela change un instant banal en instant précieux. S’entraîner à avoir cette conscience permet de vivre avec plus d’intensité, et de laisser de côté les choses qui n’ont pas vraiment d’importance.

Choisir un pense-bête.

Chacun peut trouver une manière différente de se rappeler que rien n’est définitivement acquis. Vous pouvez le noter sur votre miroir de salle de bains, le mettre en fond d’écran, ou vous le rappeler en posant une rose sur votre table et en la remplaçant quand elle est fanée. Vous pouvez poser à un endroit stratégique une photo d’un lieu qui n’existe plus, ou d’une personne disparue. Laissez votre sensibilité vous guider pour vous faire un rappel quotidien et discret. Quand, avec l’habitude, vous ne remarquez plus votre rappel, inventez-en un autre. Et appliquez vous, aussi souvent que vous le pouvez, à faire une chose comme si c’était la dernière fois.

2 ème temps : « Vis aujourd’hui comme si c’était le dernier jour. Et fais des projets comme si tu étais là pour l’éternité. » Agatha Christie.

Nous aimons penser que les choses vont se passer « dans l’ordre » : que nous allons vieillir avant de mourir, très âgés, après avoir fait tout ce qui nous semblait important. Mais nous ne savons pas combien de temps il nous reste en réalité.

Et même si nous vivons vieux, notre temps passe souvent en obligations et en contraintes. Il peut nous arriver de nous retourner sur notre vie à 40 ans, 50 ans ou 70 ans pour nous apercevoir que nous avons l’impression de n’avoir pas vécu. C’est comme si on nous avait floué, dépossédé de notre vie.

Concrètement, la pratique.

Pratiquez « vis comme si tu devais mourir demain » pendant quelques semaines. Vous remarquerez peu à peu que certaines choses vous apportent plus de plaisir que les autres, vous semblent plus importantes, ou vous donnent davantage le sentiment d’être vivant. Vous développerez peu à peu l’envie de les faire. Là, vous êtes prêt pour « faire des projets comme si vous étiez là pour l’éternité. »

Selon votre personnalité, le projet peut se manifester seulement par l’envie de faire plus de quelque chose. Ou cela peut être un projet planifié sur papier avec objectifs, étapes et actions détaillées. Peu importe. L’important, c’est que vous soyez prêt à mettre du temps dans cette activité comme si vous aviez l’éternité devant vous, sans vous imposer aucun limite « raisonnable » sur ce que vous aurez le temps de faire, dans une semaine ou dans une vie.

Mettez de côté les « il faut » et les « je dois » qui vous empêchent habituellement de consacrer du temps à ce qui vous fait envie. Ce sont les « il faut » et les « je dois » qui font que votre vie file sans vous appartenir. Accordez-vous régulièrement un temps pour faire ce qui vous fait vibrer. Les contraintes s’organiseront autour de ce temps essentiel pour vous.

Et lorsque vous y êtes, que vous avez cet instant essentiel pour vous, vivez-le « comme si vous alliez mourir demain » et vous serez si absorbé que vous vivrez dans le présent un instant d’éternité. C’est ce que Mihaly Csikszentmihalyi appelle le flux.

Le flux.

Le flux est un moment intense de vie, où vous êtes si concentré que vous perdez toute conscience de vous-même pour vous consacrer entièrement à ce que vous faites. Et ce que vous faites vous donne alors un immense plaisir. Peu importe à cet instant que vous viviez encore 10 minutes ou 100 ans, car vous n’avez plus aucune conscience du temps qui passe. Le temps n’existe plus. Vous êtes en train de vivre dans l’éternité. Et vous êtes en train de vivre votre vie de la manière la plus intense qui soit.

Retour à l’anormal, conclusion : une recette pour le bonheur ?

Selon Martin Seligman, cette expérience de flux est l’une des trois composantes du bonheur, les deux autres étant le plaisir et le sentiment que la vie a un sens. Les pratiques décrites ci-dessus peuvent également répondre aux deux autres composantes.

En effet, « vivre comme si on allait mourir demain » permet de faire le tri entre le futile et l’important, et de remarquer ce qui nous donne le plus de plaisir. Et cela nous encourage à rechercher et cultiver ces moments de plaisir dans notre vie.

Et « faire des projets comme si on était là pour l’éternité » nous permet d’écarter des contraintes, de libérer du temps et de projeter dans l’avenir les choses essentielles que nous avons identifiées. Cela contribue à donner un sens à notre vie.

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Photo par de Lothar Dietrich – Pixabay.