Le toucher est essentiel

Le toucher est essentiel

20/03/2021 0 Par Stéphanie

Qu’est-ce qu’on perd si on cesse de se toucher ? Après un an de distanciation sociale, les effets de cette privation long terme se révèlent à nous. Le toucher est essentiel, de la plus petite enfance à l’âge le plus avancé. S’en priver nous fait du mal, et peut même raccourcir notre vie. Voici ce qu’en disent les connaissances actuelles sur le sujet. Le défi sera ensuite d’être créatif pour parvenir à concilier ces informations avec les gestes barrières !

La nature du toucher

Informations immédiates

En une fraction de seconde, nous somme capables d’identifier si un contact physique est bienveillant ou agressif. Nous pouvons également savoir uniquement par le toucher si la personne qui nous touche est un homme ou une femme (taux de réussite entre 70 et 96 % selon le chercheur Dacher Keltner de l’Université de Berkley), ou si nous nous touchons nous-mêmes. Dans ce dernier cas, le cerveau ignore généralement l’information. En effet, qui parmi nous est conscient qu’il se touche le visage entre 400 et 800 fois par jour ?

Toucher et émotions

Notre perception du toucher dépend de la nature de notre lien avec la personne qui nous touche. Ainsi, une caresse peut être agréable dans le cadre d’une relation d’affection, qu’elle soit amoureuse, parentale ou amicale. Mais elle peut être très désagréable si nous n’avons pas d’affection pour la personne qui nous touche. Le lien entre toucher et émotion est donc puissant.

Des fibres nerveuses spécialisées pour la caresse

Des fibres nerveuses récemment découvertes, les fibres CT, sont uniquement dédiées au toucher doux, comme la caresse. Les récepteurs sont plus concentrés au niveau du dos et des épaules, des endroits de notre corps où nous ne pouvons pas nous toucher. Cela implique qu’ils sont spécifiquement dédiés à l’interaction sociale. Ce fait a été confirmé lorsque la température optimale de fonctionnement de ces récepteurs a été située à 34°C. En effet, il s’agit précisément de la température du bout de nos doigts. Nous sommes donc faits pour toucher et être touchés. Que se passe-t-il si nous en sommes privés ?

Le toucher est essentiel au développement de l’enfant.

Priver un enfant de toucher le rend malade.

Dès 1958, Harlow avait établi que priver un enfant de contact physique provoque chez lui des troubles physiques et comportementaux. Cela provoque une croissance retardée, un développement psychomoteur et intellectuel perturbé, de la tristesse, de l’inhibition motrice ou de l’agitation, de l’auto-agressivité et un balancement compulsif. Les observations faites dans les orphelinats roumains après la chute du communisme dans les années 1990 ont confirmé cette observation. Ainsi, le toucher est essentiel à la croissance équilibrée d’un enfant.

Priver un enfant de toucher le rend agressif.

En 1995, Tiffany Field, chercheuse à l’école de médecine de l’université de Miami, a comparé des populations de jeunes enfants à Paris et à Miami. A Paris, les parents qui amènent leurs enfants au parc les touchent plus souvent que les parents américains. Par la suite, les enfants parisiens se touchent davantage entre eux, ils se prennent plus facilement dans les bras qu’à Miami. Et ce comportement se poursuit à l’adolescence. Il en résulte que les enfants sont moins agressifs verbalement et physiquement à Paris qu’à Miami.

Le toucher est essentiel à la croissance.

Cette même chercheuse a démontré que le toucher est bénéfique pour la croissance de l’enfant, en particulier des enfants prématurés. En effet, ceux qui bénéficiaient de 15 minutes de massage trois fois par jour pendant une dizaine de jours gagnaient 47 % de poids en plus par rapport aux prématurés non massés. Ainsi, le toucher est essentiel à la croissance physique des enfants.

Chez l’animal, Darlene Francis et Michael Meaney ont montré que des bébés rats soigneusement léchés par leur mère devenaient des rats adultes plus calmes et plus résistants au stress, et qu’ils avaient un meilleur système immunitaire que les rats qui avaient eu des mères plus négligentes. Cela amène à interroger le rapport entre le toucher et la santé.

Le toucher est essentiel pour la santé.

Le toucher est essentiel pour notre système immunitaire.

Tiffany Fields a également démontré que le toucher renforce le système immunitaire des bébés, et aussi des malades du SIDA et des personnes atteintes de cancer du sein. Ainsi, le toucher est essentiel à notre survie.

Le toucher réduit le stress et la douleur.

Une étude de Jim Coan et Richard Davidson a montré qu’une personne installé dans un IRM et qui s’attendait à une expérience désagréable avait une activité cérébrale typique de la menace et du stress. Mais si le conjoint de cette personne lui caressait le bras, cette activité cérébrale était littéralement désactivée. Le toucher réduit la production de cortisol, l’hormone du stress, et favorise la production d’ocytocine, l’hormone de la proximité affective et de la sécurité. Le toucher favorise par ce biais une diminution du stress, une bonne digestion et une meilleure qualité de sommeil.

De plus, grâce au toucher, notre seuil de tolérance à la douleur est plus élevé. C’est pourquoi, lorsque nous nous faisons mal, nous avons immédiatement envie de masser l’endroit douloureux. Ce massage envoie au cerveau un message positif qui vient contrer le message d’alerte, et diminue la sensation de douleur.

Il en est ainsi également de la souffrance psychique. David J. Lindon explique dans son livre que la souffrance psychique active les mêmes zones cérébrales que la souffrance physique. Par exemple, le Tylenol utilisé contre les douleurs physiques se montre efficace contre la souffrance provoquée par le rejet social. Tenter de soulager une personne en souffrance psychique par un câlin fait donc sens. Car on le soulage réellement, en activant les récepteurs du toucher, notamment ceux situés dans son dos et qui sont bien plus nombreux qu’ailleurs dans le corps.

Le toucher réduit la dépression.

Chez les malades d’Alzheimer, le contact physique et les massages diminuent la dépression. Il diminue aussi le stress des malades et augmente leurs interactions sociales. Tiffany Fields a également démontré que le toucher réduisait la dépression chez les femmes enceintes et leur conjoint. Ainsi, le toucher est essentiel à notre santé mentale.

Le toucher peut améliorer l’espérance de vie.

Les couples qui, par la voie du toucher, maintiennent un taux élevé d’ocytocine en vieillissant, ont une espérance de vie plus longue. De cette manière, ils diminuent leur niveau de stress et leur tension artérielle, et contribuent ainsi au maintien d’une activité cognitive de meilleure qualité. La plupart des récepteurs nerveux diminuent leur sensibilité pendant le vieillissement. Au contraire, les récepteurs consacrés au contact doux augmentent en sensibilité avec l’âge. Le toucher doux a donc une importance croissante au fur et à mesure qu’on vieillit.

Selon une étude de l’Université de Berkeley, si un malade souffrant d’une pathologie complexe bénéficie d’un contact visuel avec son médecin et que ce dernier lui touche l’épaule, les chances de survie de ce malade s’améliorent.

Le toucher est essentiel à notre vie en société.

Le toucher motive les étudiants.

Nicolas Guégen, chercheur en sciences du comportement, a réalisé une expérience sur 120 étudiants. Il démontre qu’un étudiant touché par son professeur (une tape sur l’épaule) est plus motivé qu’un étudiant qui a seulement bénéficié d’encouragements verbaux. En effet, 28 % d’entre eux se porteront volontaires par la suite, contre 9 % seulement chez les élèves qui ont bénéficié seulement d’encouragements verbaux.

Une autre étude a montré que si le bibliothécaire touche discrètement la main des étudiants en leur donnant le livre demandé, ces derniers seront plus nombreux a dire qu’ils aiment la bibliothèque, et ils y retournent plus souvent.

Le toucher promeut la générosité.

Le psychologue Robert Kurzban a soumis des groupes au jeu du « dilemme du prisonnier ». Il s’agit d’un jeu qui donne un choix de stratégie entre la coopération et la compétition pour une petite somme d’argent. Les participants que l’organisateur avait touchés au début du jeu ont majoritairement choisi la stratégie de coopération plutôt que la compétition. Ainsi, le toucher est essentiel à la qualité de notre vie sociale.

Le toucher est essentiel pour avoir des relations proches.

Edmund Rolls a montré que le toucher active le cortex orbito-frontal lié au système de récompense. Il réduit le stress cardio-vasculaire, et active le nerf vague, qui à son tour favorise la libération d’ocytocine. Cette hormone induit un sentiment de confiance et d’affection qui favorise le rapprochement et la réciprocité des relations.

Des chercheurs des universités de Colorado et de Yale ont montré un lien entre le toucher et les émotions. Le fait de tenir une tasse de café chaude entraîne un jugement plus humain, chaleureux et confiant sur un visage inconnu. Les participants qui avaient tenu une tasse froide étaient plus sur la réserve dans leur jugement.

Le toucher est essentiel à notre communication émotionnelle.

Communiquer uniquement par le toucher

Deux personnes qui ne voyaient pas devaient communiquer uniquement par le toucher, et en une seconde maximum, une émotion choisie dans une liste. C’est l’expérience réalisée par Dacher Keltner de l’université de Berkeley et Matt Hertenstein, professeur à l’université Depauw. Leurs résultats sont étonnants. La communication des émotions par le toucher est plus efficace que si elle est visuelle ou auditive, même dans le cas d’émotions voisines comme l’amour, la compassion, la joie ou la gratitude.

Hommes et femmes obtiennent des réussites équivalentes. Mais une particularité existe pour trois émotions : la compassion, la colère et la joie.

En ce qui concerne la compassion, la communication n’était couronnée de succès que si l’un des deux partenaires était une femme. Pour la colère, la communication était efficace seulement entre deux hommes. Et la joie se communiquait mieux si les deux étaient des femmes.

Une autre étude a montré que la communication par le toucher est encore plus efficace quand elle a lieu au sein du couple.

Communication émotionnelle : les meilleurs vecteurs

Si on compare les modes de communication des émotions, on s’aperçoit que l’attitude corporelle est la plus efficace pour communiquer des émotions liées au statut social (culpabilité, fierté, embarras). Le visage est le meilleur vecteur pour exprimer les émotions liées à la survie (colère, joie ou tristesse). Et le toucher est le moyen souverain d’exprimer les émotions liées à l’intimité (l’amour, la sympathie, la compassion).

Privés de toucher, privés de sécurité

Ainsi, en étant privé du toucher, nous parvenons moins à ressentir les émotions liées à la sphère de l’intime, c’est-à-dire là où nous nous sentons en sécurité, détendu et entouré. Notre niveau de stress et d’agressivité a de fortes chances d’augmenter, de même que notre sentiment de solitude.

Or la solitude a de nombreux effets délétères graves. « Le sens du toucher est le seul dont la privation entraîne la mort. », disait Aristote. Lorsque nous sommes seuls, coupés de notre groupe, notre niveau de stress augmente. Le risque de mort prématurée augmente (crise cardiaque, AVC, dépression). Il est supérieur au risque de décès prématuré induit par le tabac.

Si le toucher est si essentiel, que se passe-t-il en période de « distanciation sociale » ?

On observe actuellement une augmentation des troubles psychiques tels que l’anxiété, la dépression et l’addiction. Pourquoi ? Le manque de toucher joue sans doute un rôle clé.

Famine sensorielle

Avant, lorsque nous rencontrions quelqu’un, nous lui serrions la main ou lui faisions la bise. Ce contact physique nous donnait une multitude d’informations conscientes et inconscientes sur cette personne et consolidait la relation. A présent, nous ne pouvons plus rentrer en contact avec une personne par le toucher. L’interaction est donc incomplète, et cela créé une barrière qui nous empêche de consolider nos liens.

Nous l’avons vu ci-dessus, le contact apporte un sentiment de sécurité, d’appartenance et de plaisir. La privation de contact créé un manque, une sorte de famine sensorielle que les anglais appellent « skin hunger », ou « faim de peau ». Certains tentent inconsciemment de combler ce manque par d’autres sources de plaisir, telles que la nourriture, l’alcool ou la cigarette. Il s’agit là d’une réaction normale d’adaptation, mais qui peut avoir des conséquences désastreuses au long terme.

Attention aux conséquences à long terme

On pourrait se dire que cette situation est temporaire, et qu’on peut se contenter de contacts à distance ou virtuels pendant quelques mois ou quelques années, avant un retour à la normale. Mais les terminaisons nerveuses spécifiques aux caresses ont besoin d’être stimulées régulièrement. Si elles ne le sont pas pendant une longue période, leur sensibilité se modifie. Une personne qui n’est pas touchée pendant longtemps appréciera de moins en moins le contact physique. Néanmoins, sa sensation de manque demeure, et les conséquences sur l’équilibre mental et la santé restent graves.

Heureusement, ces terminaisons nerveuse peuvent être réactivées, mais la tâche n’est pas facile. Cela demande un travail personnel pour dépasser le rejet du contact. Et un entraînement physique par des massages réguliers pour stimuler les terminaisons nerveuses.

Quelles solutions pour la période actuelle de distanciation sociale ?

Évidemment, l’usage de modes de communication à distance par téléphone ou écrans interposés sont utiles à défaut de mieux. Dans ce cas, prendre le temps de demander à chacun comment il se sent peut créer une impression de proximité.

Vous pouvez aussi utiliser le sentiment de connexion émotionnelle qu’on obtient quand on est plusieurs à ressentir la même chose en même temps. Vous pouvez faire du sport ensemble en se voyant mutuellement en ligne. Ou regarder le même film en même temps tout en partageant ses émotions par téléphone. Ou encore jouer ensemble à un jeu en ligne tout en dialoguant, par exemple.

Mais rencontrer une personne physiquement, même en respectant les distanciations sociales, restera plus bénéfique. Faites donc l’effort, quand c’est possible, d’aller voir vos amis en personne, quitte à respecter la distance physique imposée par les règles sanitaires actuelles.

« Toucher » les gens sans les toucher.

Utilisez les autres moyens à votre disposition pour « toucher » les gens émotionnellement sans les toucher physiquement.

Toucher les gens par les mots

Vous pouvez, par exemple, exprimer par les mots ce que vous auriez aimé exprimer par un câlin. Ce sont peut-être des mots que vous n’avez pas l’habitude de prononcer, qui vous paraissent intimes, voire même un peu gênants. Mais ils n’en seront que plus touchants pour votre interlocuteur. Imaginons une collègue qui a manifestement de la peine. Vous pourriez lui dire « si je le pouvais, je te ferais bien un câlin pour te consoler. » L’évocation de cette intention et de cette possibilité va lui faire vivre la situation en imagination. Cela va provoquer chez elle une réaction physique apparentée à celle qu’elle aurait eue si vous aviez fait le câlin en réalité, bien que moins intense.

Toucher avec les yeux

Établir un contact visuel est aussi un moyen de toucher les gens. Si quelqu’un vous regarde dans les yeux quand il vous parle, vous sentez immédiatement une proximité s’établir. Vous pouvez également sourire davantage que d’habitude, même avec le masque, car le sourire véritable se voit dans les yeux. Sourire augmente la libération d’ocytocine et d’endorphines dans votre corps, et dans celui de la personne à qui vous souriez. Vous vous sentirez donc tous les deux plus heureux et plus proches. De loin, un geste amical de la main peut avoir un effet similaire. N’hésitez pas à en faire plus souvent, de manière plus appuyée, et en cherchant la réciprocité.

Toucher quand même

Enfin, certains ont développé des formes de toucher peu risquées, compatibles avec les consignes sanitaires. On a vu des personnes se saluer en se touchant du coude, ou passer une main gantée sur le dos d’une personne en se mettant à côté d’elle au lieu de l’entourer de ses bras.

Si vous vivez en famille, le contact physique au sein du foyer peut être plus fréquent et plus intentionnel avec le conjoint et les enfants. Si vous avez un animal de compagnie, le caresser et le laisser vous toucher révèle ici toute son importance. Vous en tirerez grand bénéfice. Si vous êtes seul, multipliez les connexions par tous les modes évoqués ci-dessus, et aussi avec les personnes que vous croisez au quotidien : un mot gentil à la caissière, un salut de la main à un voisin, une discussion dans la queue à la boulangerie, par exemple. Vous pouvez aussi peut-être vous payer un massage, ou, pourquoi pas, une brosse pour le dos.

Le toucher est essentiel : conclusion

Tous ces moyens ne sont que des palliatifs qui permettent de supporter le mieux possible cette période difficile. Mais étant donné la nature du toucher et la nécessité physique que nous en avons, il est clair que nous ne pouvons pas en être privés complètement ni définitivement sous peine de voir se développer de graves pathologies psychiques et même physiques. N’oublions pas que le toucher est essentiel !

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Image de Мария Ткачук, Pixabay.